Y’a-til un docteur dans la vallée ?

 Quand le désert médical avance, que faut-il mettre en place ? Quelles initiatives sont à la portée des élus ? Cette question, que je me posais au début de l'année, est à l’origine de cette enquête, réalisée en février dernier pour l’hebdomadaire Le Pays et repoussée en raison de la pandémie de covid 19. Mais cette crise sanitaire met aussi en lumière l’importance crucial du sujet. C’est pourquoi je la publie dans Le Petit Grandris illustré aujourd’hui.

A Grandris, une situation qui ne laisse personne indifférent...


Les habitants de la Haute Vallée d’Azergues devront-ils se passer de médecin à partir de 2021 ? C’est l’un des scénarios possibles – mais pas obligatoires –, après la cessation d’activité du Dr Walzer, à Grandris, en 2018, l’annonce du départ en retraite du Dr Dermer de Poule-les Echarmeaux, d’ici un an, et celles du possible départ tout court des Dr Armanet, toujours à Poule, et Felicioli à Lamure-sur-Azergues, à cette même échéance. Il y a peu, les huit villages de l’ancienne communauté de communes comptaient cinq praticiens pour quelque 6000 patients. Elle n’en conserverait plus qu’un, le Dr Fognini, de Chambost-Allières.

La place centrale du généraliste
« Même si certains de ses patients sont partis à Amplepuis, le retrait du Dr Walzer a mis à mal le fragile équilibre qui existait jusqu’alors, en ajoutant une grosse charge de travail supplémentaire aux quatre médecins restants, dont trois se partagent par ailleurs les week-ends de garde avec deux internes », explique Philippe Bonnet, ancien maire de Chambost-Allières, toujours aux commandes aujourd’hui, faute de pouvoir installer le nouveau conseil municipal en période de confinement. Une pénurie prévisible de médecins d’autant plus préoccupante qu’elle risque de faire boule de neige sur l’ensemble du secteur. Selon l’avis du corps médical local – pharmaciens, infirmières, kinésithérapeute, ostéopathe et autre orthophoniste – le généraliste, en tant que prescripteur, occupe une place centrale au sein de la chaîne médicale. « Plus de prescripteur plus de chaîne médicale... », traduit Philippe Bonnet.

 

« Plus de prescripteur

plus de chaîne médicale... »


Mais pas de médecin salarié
Alertés par les médecins, aux limites du burn out pour certains, les élus tentent, depuis, de se mobiliser dans les limites restreintes de leur compétence en la matière. Avec des hauts, des bas et quelques désaccords... Défendue par quelques-uns, la piste de l’embauche d’un ou plusieurs médecins salariés, comme à Amplepuis, a été rapidement rejetée par une majorité d’entre eux. Beaucoup trop cher, ont-il estimé. « A raison d’une consultation à 25 euros, sur 35 heures, il faut tabler sur un salaire de 9 000 euros minimum, plus le secrétariat et le local. Sans les congés payés et les risques d’arrêt maladie », détaille Philippe Bonnet. Même si la consultation est remboursée par l’assurance maladie, un éventuel déficit devrait être pris en charge par la collectivité et au final par les habitants. « Vous imaginez un trou de 30 000 euros dans un budget de 300 000 ? », interroge Dominique Despras, maire de Claveisolles et conseiller régional, qui avoue par ailleurs ne pas se sentir assez expert dans ce domaine pour gérer une telle structure. L’élu se veut cependant pragmatique : « si les habitants le demandent et se déclarent prêts à renoncer pour cela à d’autres investissements, pourquoi pas... »

L’option libérale choisie
Concomitamment avec la création d’un cabinet de télémédecine à Lamure-sur-Azergues, inauguré en janvier dernier (encadré ci contre), après quelques péripéties dont une coupure de courant, les élus ont donc repris leur bâton de pèlerin, en 2019, pour trouver la perle rare en statut libéral. Une mission quasi impossible face à une absence totale de candidature…

« Non seulement le numerus clausus a considérablement réduit le nombre de généralistes disponibles, mais plus personne ne veut venir à la campagne et risquer de s’infliger des journées à rallonge. Les jeunes médecins veulent profiter aussi de leur vie de famille », explique Philippe Bonnet. A moins de faire jouer la synergie avec l’hôpital de Grandris...

 

« Le numerus clausus a considérablement

réduit le nombre

de généralistes disponibles. »


L’hôpital à la rescousse
Désireux d’embaucher un médecin, celui-ci n’a pas fait de difficulté à envisager d’en recruter plutôt deux, à mi-temps, afin de leur laisser la possibilité d’exercer un deuxième mi-temps en libéral ; proposant même dans la foulée, un local gratuit et du secrétariat. Un moyen pour l’établissement de limiter les déplacements aux urgences, aussi coûteux pour la collectivité que pénibles pour les patients. La COR, de son côté, acceptait la mise à disposition d’un autre cabinet à Lamure-sur-Azergues. Ne restait plus qu’à mettre la dernière touche à une petite soirée festive et estivale, à l’intention des internes de Villefranche et de Lyon, en présence des professionnels de santé, afin de valoriser les atouts et le potentiel du territoire.

Retour à la case départ
« Tout était prêt. C’est à ce moment précis qu’un changement est intervenu à la direction des hôpitaux Nord. La nouvelle directrice nous a alors demandé d’attendre un peu, le temps d'y voir plus clair », raconte Philippe Bonnet. Début 2020, juste avant la pandémie de covid19, la démarche reprenait enfin son cours, sur les mêmes bases et suscitant autant d’espoirs. « Nous leur proposons une patientèle déjà constituée, leur permettant de gagner correctement leur vie, ainsi que le secrétariat et le local. Ils peuvent vivre à Lyon où à Villefranche s’ils le souhaitent. A charge pour nous de réserver une chambre s’il faut rester une nuit sur place et de payer la garderie aux enfants si nécessaire », souligne Philippe Bonnet. « Sans compter que notre implantation est idéale, un véritable eldorado à proximité de Lyon comme de Villefranche », ajoute Dominique Despras. « Récemment, un syndicat de médecins me disait constater dans ses troupes une envie de retour au vert et de confort de vie. Mais bien sûr, il faut aussi trouver un emploi à proximité pour le conjoint. Cela peut compliquer les choses. »

 

« Notre implantation est idéale,

un véritable eldorado à proximité

de Lyon comme de Villefranche. »


Une brique de plus dans l’écosystème
Avec sa soixantaine de résidents et son encadrement de 120 salariés (90 équivalents temps plein), le projet de maison d’accueil spécialisée, prévu pour fin 2021 à Claveisolles, dans l’ancien couvent des sœurs du Prado, devrait aussi bouleverser la donne. En venant grossir les rangs de la patientèle locale, mais aussi en offrant aux professionnels de santé, la possibilité de booster leur réseaux et d’échanger avec des pairs : psychiatre, médecin somaticien, neuro-psychologue, ergothérapeute, kiné, infirmiers…  Avec un effet démultiplicateur sur le dynamisme local, espèrent les élus. « L’un des médecins peut avoir un conjoint généraliste », conjoncture Dominique Despras. « En tout cas les radars seront forcément tournés de notre côté. »

Des cartes à rebattre ?
Entre temps, les élections municipales et la crise sanitaire ont eu lieu. Les premières apportant leur lot de changements, le projet de salarier un médecin à Grandris, par exemple. La seconde remettant en perspective les carences de la prise en charge médicale sur le territoire. « Les cartes seront peut-être rebattues », espère Philippe Bonnet. « Nous sommes peut-être à la croisée des chemins », prédisait Dominique Despras en février dernier. Une vision prophétique ?

 

Nadia Gorbatko

A Lamure : une consultation presque classique

Infirmière libérale à Lamure-sur-Azergues, Sandrine Petit-Liadon
fait partie de l'équipe qui accueille les patients.

Un cabinet de téléconsultation s’est ouvert en janvier dernier à Lamure-sur-Azergues, afin de soulager les médecins locaux en activité. Visite.

Stéthoscope, pèse-bébé, table d’examen, tensiomètre, terminal dédié à la carte vitale… Dans cette salle de la maison médicale de Lamure-sur-Azergues inaugurée en janvier dernier, rien de diffère d’un cabinet de généraliste classique. A une exception près : le médecin se trouve à des centaines de kilomètres de là. Ce qui ne l’empêche pas de mener ses consultations de manière conventionnelle, grâce aux équipements connectés et, notamment, une mini-caméra pour explorer les cavités ou la surface de la peau, maniée par l’une des trois infirmières de l’équipe. Seul geste interdit : celui de la palpation.

Ce mardi, c’est Sandrine Petit-Liadon, infirmière libérale sur la commune, qui est inscrite au planning. Formée à la manipulation des instruments, bien rodée par sa demi-douzaine de consultations précédentes, elle accueille la patiente avec le sourire. « Nous connaissons une partie d'entre eux. Cela les rassure. Certains repartent enchantés, d’autres restent septiques. C’est quand même très nouveau », précise-t-elle.
Créé sous l’impulsion de Dominique Despras, alors Vice-président du Conseil Régional en charge de la santé, le cabinet est géré par la start up Healphi. Il a été subventionné à 80 % par la Région, sur un montant total de 24 000 euros. Moyennant un transfert de compétence ciblé sur cette action, la Communauté de communes (COR) a pris à sa charge les 20 % restant et proposé l’hébergement. Le surcoût lié à la présence d’une infirmière est assumé par la sécurité sociale.

Les rendez-vous se déroulent le mardi de 14h à 16h, pour le moment, et se prennent après accord avec son médecin traitant. A défaut de médecin traitant, le médecin en téléconsultation – c’est toujours le même – peut également accepter ce rôle. Objectif de la démarche : soulager les généralistes locaux. En effet 80 % des consultations correspondent à des pathologies bénignes ou à des renouvellements d’ordonnance. A ce jour, les rendez-vous sont encore peu nombreux, mais Sandrine Petit-Liadon reste confiante : « Via les médecins locaux notamment, le bouche-à-oreille va faire son office. »
Tél. : 04 69 96 76 96 Site internet : www.healphi.com

NG.

A Claveisolles, une maison d’accueil spécialisée

Photo : association Laroche.

A la fin de l’année prochaine, une soixantaine de personnes en situation de handicap psychique devrait profiter du charme de l’ancien couvent des sœurs Prado reconverti en maison d’accueil spécialisée. L’opération, menée en partenariat entre l’association Laroche et le centre hospitalier de Saint Cyr, contribuera à renforcer le potentiel économique de la vallée et… complexifiera peut-être sa recherche en cours de  médecins généraliste. A moins qu’elle n’amorce un mouvement inverse, grâce à l’attrait suscité par le pool de spécialistes présents sur le site.

NG


A Amplepuis, la maison médicale ne désemplit pas

Lors de son inauguration, en 2014, la maison médicale d’Amplepuis comptait trois médecins, tous salariés. ils sont neuf, aujourd’hui, à avoir fait ce choix de travailler en équipe, en milieu rural. Et les cabinets ne désemplissent pas. Pour un budget de 700 000 euros par an, pas toujours parfaitement à l’équilibre, la structure communale permet aux habitants d’Amplepuis, de Saint Just d’Avray, de Cublize et de Ronno, sans oublier les transfuges de la Vallée d’Azergues, de bénéficier de quelque 17 000 consultations par an.

NG